Par Diyaa Rahmani – 1er avril 2024
La musique, bien plus qu’un simple divertissement, joue un rôle crucial dans le bien-être des patients hospitalisés. À travers l’analyse des mécanismes neurologiques qui sous-tendent le plaisir musical, nous découvrons la puissance de la musique comme outil de guérison, offrant plaisir et bienfaits thérapeutiques. Cette compréhension approfondie ne peut que rejoindre notre vision holistique des soins, soulignant l’importance capitale de la musique pour le bien-être spirituel.
La musique est un art qui remonte à plusieurs siècles. L’instrument le plus ancien retrouvé est une flûte faite en os de vautour qui date de plus de 42 000 ans. Cet art a été transmis de génération en génération et est présent dans toutes les civilisations du monde. Comment cet art si ancien a-t-il pu perdurer ? Une des raisons est que la musique procure du plaisir. Plusieurs régions du cerveau s’activent lorsqu’on écoute de la musique et permet de nous faire ressentir ce plaisir. Avant de vous en parler davantage, il est important de savoir comment la musique se rend au cerveau.
Comment la musique se rend-elle au cerveau ?
Tout commence par des vibrations sonores de différentes fréquences et d’amplitudes (voir figure 1) qui voyagent jusqu’à nos oreilles. Celles-ci vont faire bouger le tympan et les trois osselets de l’oreille moyenne : l’enclume, le marteau et l’étrier. Ces osselets vont alors faire bouger le liquide présent dans la cochlée, laquelle transforme les vibrations en signaux électriques puis envoie au cortex auditif un signal électrique via le nerf auditif (voir figure 2) (Goldstein & Brockmole, 2016).
Figure 1 : Schéma d’une onde. L’amplitude est la hauteur de l’onde, donc le volume du son. La fréquence présentée par le symbole lambda est la longueur de l’onde. De petites longueurs d’onde donnent des sons aigus, alors que de longues longueurs d’onde donnent des sons graves (Goldstein & Brockmole, 2016).
Figure 2 : Anatomie interne de l’oreille (Goldstein & Brockmole, 2016).
Une fois que le signal est arrivé au cortex auditif, il se répand ensuite dans différentes régions du cerveau afin de l’analyser. Pour détecter le type de son dont il s’agit, le signal électrique du cortex auditif est transmis au lobe temporal. Si le son est de la musique, le signal électrique se rend alors au lobe temporal de l’hémisphère droit. En revanche, s’il est de la parole, le signal électrique se rend plutôt au lobe temporal de l’hémisphère gauche. Pour identifier d’où provient le son (par exemple : écouteurs, haut-parleur), quand il débute et comment il est (aigu ou grave), le signal électrique est transmis au lobe pariétal (Goldstein & Brockmole, 2016).
Figure 3 : Image du cerveau illustrant les différents lobes impliqués dans le traitement du son (Goldstein & Brockmole, 2016).
Décoder le plaisir musical ?
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi la musique peut procurer autant de plaisir ? La clé réside dans une partie de notre cerveau appelée le circuit de la récompense. Ce circuit comprend le noyau accumbens (voir figure 4), le cortex auditif et le cortex orbito-frontal. Lorsque le noyau accumbens s’active, il libère de la dopamine, un neurotransmetteur associé à la sensation du plaisir. Les neurotransmetteurs sont de petites molécules qui transmettent de l’information électrique entre les neurones (voir figure 5). Une fois la dopamine libérée, elle entraîne une sensation de plaisir chez la personne (Zatorre & Salimpoor, 2013).
Figure 4 : Schéma du système limbique, la partie la plus ancienne du cerveau. Elle comprend plusieurs parties, dont le noyau accumbens.
Figure 5 : Image illustrant deux neurones (en bleu) et des neurotransmetteurs (en mauve) Home | Neurology (uconn.edu)
Cette découverte a été réalisée par le professeur Robert Zatorre et son équipe de l’Université McGill. Ils ont utilisé la tomographie par émission de positrons (TEP) pendant que des individus écoutaient de la musique qui leur donnait des frissons. Le TEP scan consiste à injecter une substance légèrement radioactive dans le corps d’une personne et à mesurer son rayonnement à l’aide d’un scanneur. Cette substance se lie à une molécule réceptrice et cette liaison sera détectée par un scanneur. Dans leur étude, ils ont utilisé une substance qui se lie aux récepteurs de dopamine. Ils ont constaté que lorsque les gens écoutent de la musique qui leur donne des frissons, beaucoup plus de dopamine est libérée dans le striatum que lorsqu’ils écoutent d’autres types de musique (Salimpoor et al., 2011).
Vous pourriez penser que le circuit de la récompense ne s’active que lorsque vous écoutez de la musique familière et aimée. Or, ce phénomène peut aussi se produire lorsque vous écoutez une pièce pour la première fois. Le professeur Zatorre et son équipe ont voulu examiner l’activité cérébrale associée à l’écoute de musique pour la première fois, et observer l’activité cérébrale qui distingue les musiques qui deviennent « gratifiantes » pour un individu de celles qu’il ne souhaite pas réécouter. Ils ont donc mesuré celle-ci à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pendant que des individus écoutaient de la musique qu’ils n’avaient jamais entendue auparavant. Ils ont évalué la valeur de récompense de chaque mélodie en permettant aux participants de « l’acheter » (ils devaient faire une offre variant de 0,00 $ à 2,00 $ dollars). Les offres plus élevées servaient d’indicateurs d’une valeur de récompense plus élevée. Ils ont constaté que le noyau accumbens s’activait lorsque les participants écoutaient de la musique qu’ils appréciaient. Ils ont aussi découvert que plus les candidats faisaient une offre importante, plus le noyau accumbens était actif. Il faut toutefois noter que l’expérience du plaisir musical reste subjective et unique à chaque individu. Nos musiques préférées peuvent ne pas procurer de plaisir à d’autres (Salimpoor et al., 2013). Certaines personnes peuvent trouver du réconfort dans les mélodies apaisantes, tandis que d’autres peuvent ressentir une montée d’énergie en écoutant des rythmes plus rapides.
Afin de tirer le maximum de plaisir à chaque chanson, il y a quelques astuces à connaître. Une bonne chanson ne doit être ni trop simple ni trop répétitive. En effet, le cerveau est capable d’anticiper ce qui va se produire, il peut donc s’ennuyer et se lasser rapidement. Pour une expérience musicale enrichissante, optez pour des morceaux qui offrent un équilibre entre la familiarité et la nouveauté (Salimpoor et al., 2015).
La musique comme source de réconfort pour les patients hospitalisés
Être hospitalisé peut être une expérience éprouvante sur le plan émotionnel. Les patients se retrouvent souvent dans un environnement entouré de bruits et de stimuli qui peuvent augmenter leur anxiété. Dans ce contexte, la musique offre un refuge, une possibilité d’évasion temporaire des réalités médicales.
Des études ont démontré que l’introduction de la musique dans les environnements hospitaliers peut avoir des effets positifs sur l’état émotionnel des patients (Evans, 2002, Glasziou, 2015). Elle peut réduire le niveau de stress et abaisser la respiration et la pression artérielle (Glasziou, 2015). Ces changements physiologiques peuvent contribuer à accélérer le processus de guérison en créant un état corporel plus propice à la récupération.
Impact de la musique sur la qualité du sommeil
Le sommeil est essentiel à la récupération physique et mentale, mais il peut être perturbé dans un environnement hospitalier en raison du bruit constant et des interruptions fréquentes. La musique douce et apaisante peut jouer un rôle dans l’amélioration de la qualité du sommeil des patients hospitalisés.
Des études ont montré que l’écoute de musique relaxante avant le coucher peut favoriser un sommeil plus profond et plus réparateur (Dickson & Schubert, 2019 ; Jespersen et al., 2023). Cela peut être particulièrement bénéfique pour les patients confrontés à des conditions médicales graves qui peuvent déjà affecter leur capacité à dormir. La musique, en agissant comme une sorte de berceuse sonore, crée un environnement propice au repos.
La musique comme outil de gestion de la douleur
Saviez-vous que la musique ne procure pas seulement du plaisir, mais peut aussi diminuer la sensation de douleur ? Certains dentistes l'ont même utilisée comme seul analgésique pour réduire la douleur pendant leurs opérations (Gardner et al., 1960). Lorsque les patients écoutent de la musique, cela peut détourner leur attention de la douleur, les aidant à mieux tolérer les procédures médicales et limiter la nécessité d’analgésiques puissants.
La musicothérapie | un pont vers le bien-être mental
La musicothérapie est une forme de thérapie basée sur l’utilisation de la musique. Elle s’est révélée être une ressource précieuse dans les établissements de santé. Les musicothérapeutes travaillent avec les patients pour créer des expériences musicales personnalisées qui répondent à leur besoin spécifique.
Par exemple, pour les patients confrontés à des troubles mentaux, tels que la dépression ou l’anxiété, la musicothérapie peut offrir un moyen non intrusif d’apaiser leurs symptômes. Elle permet d’exprimer des émotions difficilement communicables par des mots en fournissant ainsi un exutoire émotionnel. De plus, la création musicale collaborative peut renforcer le sentiment de communauté au sein du groupe de patients.
Incorporer la musique dans les soins de santé | défis et opportunités
Bien que les bienfaits de la musique pour les patients hospitalisés soient établis, il existe encore des défis à surmonter pour intégrer pleinement la musique dans les soins de santé de manière systématique. L’accès à des musicothérapeutes qualifiés, la disponibilité d’instruments de musique et la conception d’environnements sonores favorables sont des aspects qui nécessitent une attention particulière.
Les préférences musicales individuelles varient également considérablement, et donc une approche personnalisée est nécessaire. Ce qui apaise un patient peut ne pas être aussi bénéfique pour un autre. Par conséquent, la diversité et la flexibilité dans les interventions sont essentielles pour répondre aux besoins variés de la population hospitalisée.
Conclusion
La musique ne se contente pas d’ajouter de la couleur à nos vies : elle peut être une alliée précieuse dans le processus de guérison des patients hospitalisés. Du plaisir musical pur à ses bienfaits thérapeutiques, elle offre un moyen non invasif d’améliorer le bien-être émotionnel et physique des individus.
L'intégration plus approfondie de la musique dans les soins de santé pourrait non seulement bonifier l’expérience des patients, mais également contribuer à des résultats cliniques plus positifs. En reconnaissant la musique en tant qu'une forme de thérapie, les professionnels de la santé peuvent ouvrir la porte à une approche plus complète et humaine des soins médicaux. Dans cet esprit, que la mélodie continue de résonner comme une force curative dans les couloirs des hôpitaux, apportant réconfort, espoir, et une note de soulagement dans les moments difficiles.
Crédits
Les thèmes abordés dans cet article sont abordés dans le livre « Apprendre la musique, les nouvelles des Neurosciences » par Isabelle Peretz, professeure titulaire à l’Université de Montréal.
Références
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Diyaa Rahmani est une étudiante à la maîtrise en psychologie à l’Université de Montréal sous la supervision de la professeure Isabelle Peretz. Son domaine d’études porte sur la perception du beat chez les personnes ayant une dyslexie.